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.Tour à tour fleuve, cascade, rapide, lac, toundra, forêt profonde ou marécage, elle est la même depuis des millénaires.Des générations de trappeurs l’ont adulée, jamais jaloux les uns des autres, tremblant seulement qu’on s’attaque à elle.Faite de douceur au printemps, lorsqu’elle veut inviter les hommes à la prendre, elle les assomme de chaleur et d’orages en été ; leur coupe le souffle en allumant des automnes où flambe sa chevelure de lumière ; elle va aux cinq cents diables cueillir des vents pareils à ces violoneux de village qui font tournoyer la noce durant des nuits jusqu’à l’ivresse ; elle les emprisonne dans ses neiges.Tous la maudissent alors à chaque pas.Au bout du compte, c’est toujours elle qui les fait chanter au retour dans les rapides, heureux qu’ils sont de dominer les muscles du fleuve.C’est cette putain d’immensité qui les ramène à Lachine, les pousse à remercier au passage d’un signe de croix et d’une action de grâces la bonne sainte Anne du Nord, patronne des voyageurs du Pays d’en Haut.C’est encore elle qui les reprend pour un autre voyage.Aussi, lorsqu’on vint à parler de tracer un chemin de fer de l’extrême ouest à l’extrême est, les coureurs de bois se mirent à maudire les rails dévoreurs de forêts.Ils en voulurent longtemps aux ouvreurs de tranchées, aux bûcherons, aux tailleurs de traverses, aux poseurs de rails, aux bâtisseurs de gares.Les plus âgés riaient des ingénieurs en prédisant leur destruction par ces espaces qu’ils voulaient conquérir.Comment des machines à feu, des locomotives, d’énormes wagons parviendraient-ils à vaincre des montagnes qu’eux-mêmes ne franchissaient que difficilement ?Mais ceux du chemin de fer disposaient de moyens qu’ignoraient les hommes de la forêt.Ils la partagèrent d’une interminable saignée.Dans les débuts, certains trappeurs allaient épier les équipes au travail.Quelques-uns serraient leur fusil en parlant de meurtre, mais pas une cartouche ne fut tirée.Les plus farouches s’enfoncèrent vers les contrées encore vierges, grommelant que ces abrutis de la vapeur, tôt ou tard, incendieraient le monde.D’autres – et surtout les plus jeunes – regardèrent de plus près, fascinés par ces deux rubans de fer.Car cette voie aussi était la route.Comme celle qu’ils suivaient, elle s’enfonçait à travers bois.Même si au fond de leur cœur continuait de fermenter un levain de méfiance capable d’engendrer la haine, ils voulaient voir.Pour l’heure, la curiosité prenait le pas sur la peur.Les jeunes entre eux parlaient déjà d’aller d’une mer à l’autre, ils s’entretenaient des richesses fabuleuses que, peut-être, le chemin de fer permettrait d’exploiter et dont ils récolteraient leur part.Car on parlait beaucoup de l’or, on parlait d’un sous-sol infiniment riche et que seule l’ouverture du chemin de fer permettrait d’exploiter.9Leur première journée de navigation fut facile.Ils avaient moins de deux milles à remonter sur un courant moyen pour atteindre le lac.Ils y furent rapidement.C’était un endroit de la terre et un moment de la journée où tout portait à la joie.Le grand soleil avait eu vite fait de lécher les brumes.Le vent d’est ne permettait pas de mettre à la voile, mais il n’avait pas assez de hargne pour piétiner la bonne humeur des gens.Au contraire, de le sentir qui voulait chahuter lorsqu’il vous enveloppait au débouché des caps avait quelque chose d’excitant.Il lui arrivait de pousser un coup de gueule et de lever quelques vagues, juste de quoi montrer qu’on était en bateau et qu’un lac n’est pas forcément un animal domestiqué.Parfois, ce vent du levant se ramassait, grognassait un moment à la manière d’un chien qui cherche sa queue.Il tournait en rond sur l’eau toute grésillante, puis, lassé d’un coup, il filait vers la berge qu’il mordait pour lui arracher des brassées de feuilles rousses et dorées.Il les portait très haut sur son souffle tourbillonnant pour les abandonner et s’en aller mener sa folie en d’autres lieux.Les feuilles retombaient comme si le ciel se fût lentement déplumé.Les rameurs allaient leur train et, pour marquer la cadence, Raoul s’était mis à chanter :Au bas de la rivièreLa ville nous attendAvec ses lavandièresQui chantent dans le ventHardi l’amiSur les portagesMarche l’amiSous les nuagesLa neige vientQuand l’hiver ventePar les cheminsRoule ta tente.Au bar de la marineTa belle qui t’attend…De l’autre canot, Catherine l’interpella :— Oh ! T’es pas avec tes coureurs de bois.Je la connais, ta chanson.Arrête avant d’en être où les enfants peuvent pas entendre.— Alors, trouves-en une qui te convienne ! S’arrêtant un moment de ramer, il laissa l’autre canot se porter à leur hauteur.Déjà Catherine et les enfants chantaient :Voici le joli mois de maiL’eau chante dans la rivièreVoici le mois qui me plaîtVa danser à la clairière…Et les voix fortes des hommes se mêlèrent bientôt au flûtiau des autres.La joie courait sur la lumière à la rencontre du vent.— Y faut qu’on couche à Longue Pointe ! cria Raoul entre deux chansons.— Pourquoi tu tiens tant à ta Longue Pointe ? demanda Catherine
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