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.Deux roses incarnates complétaient la toilette, une sous la poitrine, l’autre sur la jupe.Ses cheveux sombres formaient des boucles souples, à peine grisonnantes aux tempes, ce qui l’embellissait d’autant plus.— Mon cher Matthew, dit-elle en souriant.Comme c’est bon de te voir.Elle l’observa attentivement, en ajoutant :— Mais tu as l’air un peu fatigué.As-tu travaillé trop dur à cause de tous ces maudits événements en Serbie ? Les Autrichiens ne donnent pas l’impression de très bien s’occuper de leurs affaires.J’espère sincèrement qu’ils ne vont pas nous entraîner dans leur pagaïe.— Je suis en bonne santé, merci, dit-il en lui prenant la main pour l’effleurer de ses lèvres.Malheureusement, on ne m’a rien confié d’aussi intéressant.Je crains de devoir reprendre les affaires intérieures des collègues qu’on envoie dans des endroits exotiques.— Oh, ne me dis pas que tu souhaites aller en Serbie ! répliqua-t-elle aussitôt.Il te faudrait un temps fou pour t’y rendre et puis tu ne comprendrais pas un traître mot de ce qu’ils diraient.Elle se tourna vers Corcoran.— Le dîner va bientôt être servi.Passez donc à table et discutez de choses plus agréables.Es-tu allé au théâtre récemment ? La semaine dernière, nous avons vu la nouvelle pièce de Lady Randolph Churchill au Prince of Wales.Elle ouvrit la marche en traversant le hall d’entrée, passant devant une domestique vêtue de noir et d’un tablier blanc amidonné, bordé de guipures, qu’elle parut ne pas voir.— Très mitigé, à mon goût, poursuivit-elle.Dramaturgie efficace, mais quelques maladresses ici et là.— Tu répètes mot pour mot ce que disent les critiques, ma chérie, observa Corcoran avec amusement.— Alors peut-être qu’ils ont raison pour une fois ! répliqua-t-elle en les entraînant dans la splendide salle à manger rose et or.La longue table d’acajou était fort simple, dans le style classique Adam.Les chaises de la même essence étaient hautes et leur dossier élancé rappelait l’architecture des fenêtres.On avait tiré les rideaux, masquant ainsi la vue sur le jardin et les prés, un peu plus loin.Ils s’assirent et on servit le premier plat.Comme on était en plein été et qu’il s’agissait plus d’un repas de famille que d’un grand dîner, une collation froide convenait tout à fait.Une truite grillée et des légumes frais constituaient le second plat, arrosé d’un vin allemand léger, sec et très délicat.Matthew transmit ses compliments sincères à la cuisinière.La conversation vagabonda sur une dizaine de sujets : les derniers romans publiés, les récits de voyage en Afrique du Nord, les potins sur les familles du Cambridgeshire, l’éventualité d’un hiver rigoureux après un été aussi fantastique… tout sauf l’Irlande ou l’Europe.Ils finirent par effleurer la Turquie, mais uniquement au sujet du site des ruines de l’ancienne cité de Troie.— N’est-ce pas l’endroit où Ivor Chetwin s’est rendu ? demanda Orla en se tournant vers son époux.Corcoran regarda Matthew, puis revint vers sa femme.— Je ne sais pas, répondit-il.— Oh, pour l’amour du ciel ! lança-t-elle, impatiente, en piquant une tranche de nectarine avec sa fourchette.Matthew sait pertinemment que John s’est disputé avec Ivor.Inutile de tourner autour du pot.Fourchette toujours en main, elle se tourna vers Matthew :— Ivor et ton père étaient très bons amis, il y a neuf ou dix ans.Tous deux connaissaient un homme du nom de Galliford, Galliard, ou quelque chose d’approchant.Il a commis un acte grave, j’ignore lequel.On ne te le dit jamais.Elle se hâta d’avaler son reste de fruit, avant d’ajouter :— Mais Ivor a prévenu les autorités et on a arrêté cet individu.Corcoran reprit sa respiration, prêt à intervenir, mais changea d’avis.Le mal était fait.— John ne lui a jamais vraiment pardonné, continua Orla.Je ne sais pas pourquoi… après tout, Galliford – ou quel que soit son nom – était coupable.Ivor a eu alors l’occasion de pouvoir rejoindre un département quelconque des services secrets et il l’a saisie.Après quoi, John et lui ne se sont jamais réellement parlé, hormis par politesse.C’est fort dommage, car Ivor était un homme charmant et ils s’appréciaient l’un l’autre.— Ce n’est pas parce qu’il avait fait appréhender Gallard, rectifia Corcoran avec calme.C’est sa façon d’agir que John n’a pas pu pardonner.John était un homme très candide… Il espérait un certain degré d’honnêteté chez les autres.Il jeta un regard à Matthew.— Père ne m’a jamais parlé d’Ivor Chetwin, dit ce dernier.S’est-il rendu en Turquie ?— Bien sûr ! répondit Orla.Mais il en est revenu.— Pensez-vous que père l’aurait revu ? Récemment ? La dernière semaine avant sa mort, par exemple ?Orla parut surprise.Corcoran comprit sur-le-champ.— Je ne sais pas, admit-il.C’est possible.Orla n’hésita pas autant.— Bien sûr que c’est possible.Je sais qu’Ivor est chez lui, car il habite à Haslingfield, et je l’ai vu il y a deux semaines à peine.Je suis certaine que si ton père lui avait rendu visite, il serait ravi de t’en parler.Corcoran la regarda, puis revint vers Matthew, indécis.Matthew ne pouvait se permettre de se soucier de vieilles querelles.Dans son esprit venait de naître la très forte probabilité qu’Ivor Chetwin puisse être l’homme derrière le complot découvert par John Reavley.Il devenait soudain capital de savoir s’ils s’étaient rencontrés, mais Matthew devait se montrer des plus prudents.Quel que soit l’individu, celui-ci n’hésitait pas à tuer.— Matthew… commença Corcoran, le visage grave, la bienveillance de ses traits accentuée par la lumière de la lampe.— Oui ! répondit aussitôt Matthew, de nouveau gagné par la colère en songeant à la naïveté de John Reavley.Je serai très prudent.Père et moi sommes bien différents.Je ne fais confiance à personne.Il aurait aimé leur expliquer ses intentions, mais préférait prendre sa décision à tête reposée.Mais il ne voulait surtout pas dévoiler à l’ami de son père ses faiblesses ou son chagrin, si ce qu’il découvrait était triste, condamnable… et trop personnel.— Ce n’est pas ce que j’allais dire, déclara Corcoran.Ivor Chetwin était un homme convenable quand je le connaissais.Mais je doute que ton père lui ait confié quoi que ce soit avant de t’en faire part.As-tu songé que ce problème qui le préoccupait tant ait pu être une affaire de basse politique qu’il jugeait déshonorante, plutôt que ce que toi ou moi considérerions comme un complot ? Il était un peu… idéaliste.— Un complot ? fit Orla en regardant Matthew, puis son mari, avant de revenir sur Matthew.— Pas grand-chose, sans doute, dit Corcoran en souriant.J’imagine qu’il l’aurait découvert s’il en avait eu l’occasion.Matthew voulut le contredire, mais il n’avait aucune arme.Il ne pouvait défendre son père ; il ne possédait rien d’autre que des paroles en mémoire, qu’ils avaient tant répétées qu’il entendait sa propre voix les prononcer, à présent.— Bien sûr, dit-il, sans le penser vraiment et sans regarder son interlocuteur en face.Il acquiesçait pour ne pas alarmer Orla.Puis il changea de sujet :— J’aimerais ne pas être tenu de rentrer si tôt à Londres.C’est si paisible et intemporel ici.— Un verre de porto ? suggéra Corcoran.J’ai un excellent millésime.Matthew hésita.— Oh, il est parfait ! assura son hôte
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