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.Pourtant, Dieu sait que parfois un seul mot de travers suffisait apparemment pour produire un blocage chez Beth : au lieu de devenir la personne qu’elle pouvait être, elle redevenait celle que son horrible passé avait façonnée.Mais ce n’était pas la faute de Beth.Elle n’était pas une perdante.Deux heures au Rideau Center, une galerie marchande dans le centre-ville qui, Anna en était certaine, comportait plus de magasins de chaussures au mètre carré que la colline du Parlement ne comptait de membres de la Police montée, c’était à peu près tout ce qu’elle pouvait supporter.Tout ce qu’elle avait pour témoigner de ses efforts, c’était un T-shirt soldé chez Fairweather’s.Cathy, par contre, avait acheté une paire de sandales, un corsage, trois robes – l’une d’elles était tellement moulante que Anna n’arrivait toujours pas à croire que son amie l’avait achetée – et une veste en jean soldée à la Bay, un grand magasin qui était tout ce qui restait dans les années 80 de la Hudson Bay Company.Cette compagnie avait effectué la plupart des premières explorations du Canada lorsque celui-ci était encore considéré comme le Nouveau Monde.— Tu te rends compte ! dit Cathy lorsqu’elles sortaient de la Bay.Nous sommes le seul pays au monde à avoir été découvert par un grand magasin.Aussi est-il de notre devoir, en tant que bonnes citoyennes, de faire des achats ici jusqu’à ce que nous tombions de fatigue.— Eh bien, moi, je tombe de fatigue ! répliqua Anna.— Moi aussi.Je rentre chez moi et je vais m’écrouler pendant quelques heures.Mais je ne suis pas dupe, ma vieille.Une fois rentrée chez toi, tu vas probablement faire le ménage, consacrer deux heures à tes sculptures, écrire un livre et faire Dieu sait quoi encore… Tout ça avant le dîner.Je me demande où tu trouves toute cette énergie.Anna arbora un large sourire.— Une vie saine, ma chérie.— Tu es chez toi ce soir ?— Probablement.— Je passerai peut-être plus tard.Je devais sortir avec Janice, mais elle est sans doute toujours au lit avec son garçon beau comme un dieu.— Aha, c’est pour ça que tu as acheté la veste en jean !— Oh, je t’en prie.Elles se quittèrent et se dirigèrent vers leurs bus respectifs.Le bus de la ligne 1 déposa Anna juste à une rue de chez elle.Elle se mit à siffloter tout en marchant, puis se souvint de Chad Baker en regardant vers le bas de Chesley.Elle eut un frisson en apercevant la maison et accéléra le pas jusqu’à ce qu’elle soit arrivée.Elle jeta le sac en papier contenant son unique achat de la journée sur les draps et la couverture soigneusement pliés qui avaient servi à Jack et lança un « Salut ! » enjoué, mais n’obtint pas de réponse.Beth était certainement déjà partie à son travail, pensa-t-elle.Elle se dirigea vers la cuisine pour se préparer un thé, puis elle fit halte et regarda vers la porte d’entrée.La porte n’avait pas été fermée à clé.Anna avait juste poussé le battant et était entrée.C’était bizarre.Beth ne sortait jamais sans fermer à clé derrière elle.Tout à coup la maison lui parut étrange.Son esprit fut submergé par le flot tumultueux des faits bizarres survenus depuis peu.Les découvertes horribles dans la maison de Chad Baker.Les rêves de la nuit dernière.Le comportement si étrange de Jack.L’attitude inexplicable de Beth ce matin.Elle monta l’escalier précipitamment, tout en appelant Beth.Il n’y eut pas de réponse.Anna frissonna.Dans la chambre de Beth, le lit était défait, sa chemise de nuit posée négligemment sur l’édredon froissé.Cela non plus ne lui ressemblait pas.Puis Anna aperçut le sac à main de sa colocataire, sur la chaise devant la fenêtre.La chambre devint brusquement oppressante, et elle s’aperçut qu’elle avait du mal à respirer.Elle alla jusqu’à la chaise et prit le sac à main.Elle examina rapidement son contenu, trouva les clés de Beth, et son portefeuille avec tous ses papiers d’identité.Quelque chose n’allait pas du tout.Il fallut dix minutes à Anna pour faire le tour de la maison, mais elle ne trouva Beth nulle part.Pas de traces de lutte.Rien.Elle regarda derrière la pile des cartons d’emballage pour la chaîne stéréo et les appareils ménagers, entassés au sous-sol, derrière la chaudière, sous les lits, dans chaque penderie.Toujours rien.C’était comme si Beth était partie, une fois habillée, sans prendre son sac, son lit défait, la porte non verrouillée.Beth n’était pas comme ça.Elle appela le Mexicali Rosa, mais personne n’avait vu Beth.Tu te fais du mauvais sang pour rien, se dit-elle, mais à présent elle était tellement inquiète qu’elle redoutait le pire.Elle essaya de joindre Jack, chez lui et à son service des abonnés absents, puis chez lui à nouveau.Le service des abonnés absents n’avait pas eu de ses nouvelles de toute la journée.À de nombreuses reprises, tandis que l’après-midi s’écoulait lentement, elle composa le numéro de Jack.Celui du Mexicali à nouveau.Rien.Elle était dans le séjour, assise dans le fauteuil devant la fenêtre, et regardait au-dehors vers la rue.Tu te fais des idées, pensa-t-elle, se réprimandant.Tu es parfaitement ridicule.Que pourrait-il arriver en plein jour ?Et puis elle pensa à Chad Baker que tout le monde trouvait si sympa.Il lui avait fait une impression étrange, indéfinissable, mais elle s’était dit que c’était parce qu’il voulait coucher avec elle.Tout le monde pensait que c’était un type tout à fait normal.Excepté que, tout le temps, il était complètement déjanté.Le rêve de la nuit dernière.Le comportement si étrange de Jack.Beth devenant si bizarre ce matin alors qu’elles parlaient de leurs rêves.Elle entendait presque Beth maintenant, le regret dans sa voix.Là-bas, je contrôlais mon existence.J’avais le sentiment que personne ne pouvait me faire du mal… que personne ne pouvait même me toucher.Oh, Beth.Tu me fiches la trouille.Elle essaya à nouveau de joindre Jack chez lui.Appela le Mexicali – Beth était en retard pour son travail, maintenant.Finalement, elle consulta l’annuaire, téléphona au commissariat central et demanda à parler à Ned Meehan.Il était rentré chez lui.Elle prit son répertoire personnel, chercha le numéro de téléphone de Ned, et le composa.Elle l’entendit sonner à l’autre bout de la ligne.Et sonner.Je t’en prie, Ned, sois chez toi.Le téléphone continua de sonner.8Jack secoua la tête pour refuser la bouteille de bourbon que le clochard lui tendait.Des illusions, pensa-t-il.Cet endroit produisait des illusions à seule fin de lui brouiller les idées.Le clochard était-il réel ? Était-il un autre rêveur, venu du monde où Ottawa était toujours une métropole prospère, la capitale nationale, et non cette ville en ruine ? Ou bien était-il une partie de l’ange, couché sur ce tas d’ordures, à passer sa musique ? Le pistolet ne tremblait pas dans sa main, pointé sur le clochard.— Qui êtes-vous ? demanda Jack.— Juste un type ordinaire.Un macchabée de plus qui essaie de faire avec.Il but une gorgée de Jack Daniel’s, posa la bouteille près de son genou où elle ne basculerait pas, et sortit de ses poches l’attirail pour se rouler une cigarette.— Je m’appelle Buddy Dempsey, enfin… je m’appelais, ajouta-t-il.Il secoua une petite blague et fit tomber du tabac sec dans le pli du papier à cigarette.Il roula la clope d’une seule main et la glissa au coin de sa bouche, puis tapota ses poches, cherchant une boîte d’allumettes.— T’es nouveau ici, m’est avis, reprit-il.T’as une allumette ?Jack secoua lentement la tête.Il n’était pas sûr d’être prêt pour cette conversation.Buddy Dempsey.Un macchabée de plus qui essaie de faire avec…— Alors comme ça, tu es mort ? demanda-t-il.— Moi, j’appelle ça un mode de vie alternatif
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